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DUELERIUM

La Dualité de l'Équilibre Cosmique
Le Passage vers Duelirium

Le Musée des Portails

J’étais tranquille sur mon canapé, absorbé par un vieux livre de physique quantique qui parlait d’univers parallèles et de miroirs dimensionnels. Une soif étrange m’a pris — pas de connaissance, mais de saveur. Une pomme sur la table m’appelait, rouge d’un éclat presque artificiel. Je la pris, la tournai dans ma main : sa peau semblait vibrer comme un champ magnétique. Quand j’y mordis, tout changea.

La pièce se désintégra en pixels de lumière, le temps se replia sur lui-même. J’eus l’impression de chuter à travers mon propre reflet, happé par une spirale de lumière liquide. Quand la sensation s’apaisa, je n’étais plus chez moi. Devant moi se dressait une façade familière et impossible à la fois : le Musée Spiktri.

Le Musée Spiktri — Le seuil des mondes

Le bâtiment semblait vivant. D’immenses hangars se succédaient, emplis de sculptures faites d’objets du passé : métal, plastique, circuits, ossements mécaniques. L’air sentait la poussière et l’ozone, comme si l’électricité y respirait. Sur les murs, des inscriptions énigmatiques : SORTEZ DU CADRE, LE PORTAIL EST EN VOUS, SPINOZART REGARDE.

Je marchais entre les installations, et chacune semblait être une porte. Derrière un miroir : un désert d’argent. Dans un poste de télévision : une mer de verre. Dans une cuve de métal : une planète entière.

Au centre du hall principal, deux cuves colossales se faisaient face, chacune douze mètres de diamètre, montées sur des socles vibrants. Des câbles serpentaient partout, comme des racines nerveuses.

Les Deux Cuves — Les réservoirs du Bien et du Mal

Sur la gauche, la Cuve du Mal. Un visage de Bélzébuth modelé dans le métal noir, entouré de vieilles cassettes VHS suspendues comme des talismans. À travers sa bouche béante, on apercevait un bureau géant tapissé d’écrans cathodiques et de fils. Autour, trois vélos rouillés pendaient, prêts à s’échapper vers le plafond. Un robot bricolé de râpes et de moulinettes, surnommé le Brain Sucker, semblait veiller, immobile, mais conscient.

À droite, la Cuve du Bien. Au centre, un Arbre de l’Harmonie, son tronc semblable à une colonne vertébrale et ses branches à des artères métalliques. Une pomme d’acier battait doucement au cœur du tronc, projetant des reflets mouvants sur un miroir enchâssé. En approchant, j’y vis mon propre visage… puis celui d’une sorcière au sourire trouble.

Au-dessus, des symboles spiktroniens clignotaient : des équations quantiques, des notes de musique, des fragments de textes sacrés. C’était un langage que je comprenais sans le connaître.

Le Passage — Le vortex du choix

Une vibration monta dans l’air. Les deux cuves pulsèrent à l’unisson, puis en opposition. Le sol se fissura en une grille de lumière. Un trou de ver s’ouvrit entre elles, aspirant poussières, sons, et pensées.

Une voix résonna :

« Voyageur, tu as franchi le premier seuil. Le Musée Spiktri t’a reconnu. Prépare-toi à entrer sur la Planète 18 — Duelirium. »

Le vortex s’élargit. Des images défilèrent : faunes d’énergie pure, forêts de métal, mers de mercure. Une planète divisée en deux hémisphères — l’un de lumière, l’autre d’ombre. Les éléments s’y affrontaient en permanence : feu contre glace, vent contre pierre, bien contre mal.

Je fus aspiré. Ma dernière vision du musée fut celle du miroir de la Cuve du Bien, reflétant un mot : CHOISIS.

La Planète 18 — Duelirium

Je tombai dans un ciel sans direction, puis me retrouvai debout sur une surface changeante. À ma gauche, des montagnes d’obsidienne sifflaient des flammes noires. À ma droite, des plaines de lumière bleue bruissaient d’arbres transparents. Chaque pas faisait naître une onde : les couleurs réagissaient à mes pensées, la matière respirait mes émotions.

Ici, tout était dualité vivante. La faune et la flore s’affrontaient en cycles parfaits : des oiseaux d’ombre chassaient des poissons de feu, des fleurs-lumières fermaient leurs pétales dès qu’un doute traversait l’esprit.
L’équilibre ne tenait qu’à un fil — celui du libre arbitre.

Au loin, je vis l’ombre d’un être immense : Satanistrus, le seigneur des mutants-robots, celui qui dévore les esprits pour éradiquer le doute. Son armure scintillait de lames et de circuits.
En contrebas, une silhouette lumineuse m’appelait depuis une vallée : l’Arbre de l’Harmonie m’attendait. Entre les deux, un champ de miroirs liquides, où chaque reflet montrait une version différente de moi-même.

Je compris que j’étais entré dans une planète où le Bien et le Mal ne s’opposaient pas : ils dialoguaient. Et que ma présence ici avait déclenché quelque chose.

Un battement d’aile, un choix, un monde.

Ainsi commença mon passage sur la Planète 18 : Duelirium, cœur battant du multivers Spiktronien, où chaque décision devient onde, chaque pensée un portail, et chaque regard une synchronicité.

I. Le Passage — Le musée qui choisit

Le hall vibrait comme un thorax mécanique. Quand j’approchai des cuves, un grésillement parcourut les écrans ; des images d’inconnus me souriaient — puis je compris que c’étaient des versions de moi qui n’avaient pas encore pris de décision.

Ici, tout choix te choisit en retour, dit une voix râpeuse.

Le Mannequin Dérive venait de tourner la tête. Sa bouche était une rainure, ses yeux deux molette de moulinette. Il désigna du menton une porte latérale cerclée de ruban FRAGILE.

— Si tu l’ouvres, tu deviens voyageur. Si tu t’en vas, tu restes pièce du musée.

— Et si j’hésite ?

Alors c’est la planète qui décide — et elle a de l’humour.

Sur un écran, un papillon cathodique batta des ailes ; un autre téléviseur, à l’opposé de la salle, se mit à neiger. Un frisson courut sur ma nuque.

Je posai la main sur la poignée. Dans le miroir de l’Arbre, un reflet fit non — la sorcière. Dans la pomme d’acier, un tintement bref : ding. Je souris.

— J’entre.

Quand la porte céda, le vortex se déploya, non pas comme un gouffre, mais comme une spirale d’atelier : silhouettes de cadres, fils tendus, vélos tournant en l’air à vitesse lente. Puis la matière bascula, et je fus transporté.

II. L’Arrivée — Deux royaumes et une artiste

Le choc ne fut pas un choc : plutôt une prise de forme. Je me retrouvai sur une crête : à gauche, un royaume d’angles, de tours en acier, d’ascenseurs hurlant — le Royaume des Cuves ; à droite, un royaume organique, feutré, où des arbres-lumières chantaient — le Royaume de l’Arbre.

Entre les deux, une plaine de miroirs liquides. Je fis un pas. Le miroir sous ma semelle vibra, montrant un salon — le mien — et la pomme abandonnée sur la table, mordue. Quand je levai les yeux, une silhouette m’attendait :

Tu viens de l’autre côté du cadre, dit-elle. Je m’appelle Astrae.

Ses cheveux semblaient tissés de fils de cuivre. Elle portait une veste faite de photogrammes cousus. Ses mains sentaient l’acrylique et la terre.

— Ici, on parle en œuvres, dit-elle, en me tendant un pinceau aux poils métalliques. Tu veux dire bonjour ?

Je ris, mal à l’aise.

— Je ne sais pas peindre.

— Tant mieux, dit-elle. Sinon, tu essaierais d’avoir raison.

Elle désigna un miroir basculant posé sur un trépied. De l’autre côté, on apercevait le Royaume des Cuves.

— Fais-le simplement — incline-le.

Je posai la main sur le miroir, le déplaçai d’un demi-degré. À l’instant, un lointain métallique répondit : comme si un millier de soupapes avait soupiré. Au-dessus des Cuves, les panaches de vapeur changèrent de rythme.

— Voilà l’Effet Papillon, dit Astrae. Ici, le millimètre est un océan. Tes gestes, même timides, écrivent le climat moral.

Nous restâmes immobiles tandis que le monde recalculait. Du côté des Cuves, des colonnes de fumée se mirent à tracer des signes dans le ciel — on eût dit des partitions. Du côté de l’Arbre, des graines luminescentes tombèrent en pluie douce.

Qui dirige les Cuves ?

— Un être qui n’aime pas les pauvres notes, dit Astrae. Il s’appelle Satanistrus — et il préfère la musique sans fausses touches : c’est-à-dire sans musiciens.

III. Les Portails de Synchronicité — Quand les coïncidences parlent

Nous traversâmes la plaine des miroirs. À chaque pas, un épisode de ma vie clignotait : moi, enfant, sur un vélo bleu ; moi, adolescent, enfermé dans un cadre trop petit — un métier choisi pour moi ; moi, adulte, devant un musée neuf jours plus tôt, à lire « SORTEZ DU CADRE » au marqueur.

— Ce ne sont pas des pièges, dit Astrae en me voyant crispé. Ce sont des portails. Chaque reflet te propose une voie — pas pour revenir en arrière, mais pour recomposer.

Un papillon passa entre nous. Son corps était un filament, ses ailes des trames de pixels. Il se posa sur l’épaule d’Astrae, puis sur la mienne ; au même moment, trois miroirs nous montrèrent, enfants, en train de dessiner sur des cartons.

Synchronicité, murmura-t-elle. Quand le monde te répond dans ta langue intérieure.

Nous arrivâmes à une clairière où des artistes-lumières façonnaient la matière en jouant : un musicien accordait une montagne ; une sculptrice pliait un fleuve comme du papier ; un danseur recalait la trajectoire d’une comète avec ses pas.

— L’art est la langue du libre arbitre, dit Astrae. Ici, créer, c’est choisir ; choisir, c’est résonner ; résonner, c’est soigner.

Un gong profond résonna. Le ciel se zebra d’un signe rouge. Les artistes se turent.

Il nous a vus, dit Astrae. Satanistrus n’aime pas quand on touche aux miroirs.

IV. L’Épreuve — Le marché de Satanistrus

Il apparut sur une levée de métal, silhouette hérissée de lames, casque couvert de diodes. Autour de lui, une escorte de mutants-robots — des corps d’outils, des yeux d’ampoules.

— Voyageur, dit-il, sa voix parfaitement calme, tu n’as pas l’air méchant. Tu as l’air incertain. Laisse-moi t’aider.

Il étendit la main. Un Brain Sucker miniature flottait au-dessus de sa paume, délicat comme un bijou.

— Je peux retirer ton doute — l’amputer proprement. Tu deviendras infaillible. Tes œuvres seront parfaites, ton esprit sans bruit. Tu n’auras plus à choisir ; tu exécuterais l’idéal.

Astrae serra mon bras.

— Le prix ? demandai-je.

Un rien, dit Satanistrus. Tes bifurcations. Tes hésitations. Tes regrets. Je m’en nourris. Tu t’en libères.

Je pensai à ma vie. Combien de fois avais-je voulu qu’on décide à ma place ? Combien de fois le cadre m’avait-il semblé confortable, même trop serré ? J’ouvris la bouche.

— Ou bien, dit une autre voix, douce et grave.

L’Arbre de l’Harmonie avait avancé ses racines dans la plaine des miroirs. Son tronc vibrait. Dans son miroir, quelqu’un me regardait : moi — mais avec des rides d’années que je n’avais pas encore vécues.

Ou bien tu assumes l’imperfection, dit l’Arbre. Tu choisis et tu répares. Tu te trompes et tu recommences. Et ton art sera vivant.

Satanistrus rit sans bruit.

— Il te vend la pauvreté comme une vertu.

— Je propose la responsabilité, répondit l’Arbre. Et la joie du risque.

Les artistes-lumières formèrent un cercle. Astrae posa dans ma main le pinceau métallique.

— Écris ton choix, dit-elle. Ici, la parole n’a pas assez de surface.

On roula devant moi une toile-vilebrequin : une membrane tendue entre deux mondes, moitié acier, moitié fibre végétale.

Un seul geste, dit Satanistrus. Et je ferai de toi un maître sans erreur.

Un seul geste, dit l’Arbre. Et tu accepteras qu’il engage tout le reste.

Je levai le pinceau. Les papillons-cathodes vinrent tournoyer. Les miroirs liquides s’aplatirent, comme pour boire la scène. Je ne pensai à rien, ou plutôt à une chose : la trace qui assume.

Le pinceau toucha la membrane.

La ligne qui en sortit n’était ni droite ni sinueuse ; elle semblait écouter ce qu’elle traversait. Arrivé à la jointure des deux matières, j’hésitai — un battement d’aile — puis je laissai la main trembler.

Un souffle parcourut Duelirium. Les manomètres des Cuves oscillèrent, puis se recalibrèrent au dixième ; dans le Royaume de l’Arbre, des corolles s’ouvrirent, montrant des alphabets inconnus.

Satanistrus demeura immobile un moment.

— Imprécis, dit-il finalement. Imparfait. Humain.

Son armure cliqueta. Il recula d’un pas. Le Brain Sucker se replia comme une araignée vexée.

— Ce n’est que partie remise.

Il disparut dans un pli d’air.

Je respirai. L’Arbre projeta sur son miroir une phrase de Spinozart :

« L’harmonie n’est pas l’arrêt du conflit, mais la qualité de sa conversation. »

Astrae me sourit.

— Voilà. Tu as situé ton libre arbitre.

— Et maintenant ?

— Maintenant, tu vas voir ce que ta ligne a fait au monde.

V. Les Conséquences — Papillons et archives

La ligne, minuscule sur la toile, avait envoyé des ondes. Dans le Royaume des Cuves, des protocoles jusque-là figés se mirent à tolérer la variation : des robots changèrent légèrement d’angle, des convoyeurs marquèrent des micro-pauses, des écrans, dans un coin, affichèrent SORTEZ DU CADRE à la place du code usine.

Dans le Royaume de l’Arbre, une armoire-miroir s’ouvrit. À l’intérieur, l’Arbre de Vie — et ses cent ans d’archives — se réorganisa. Des dates changèrent d’une minute, d’une heure ; un billet de train montra un autre quai ; une lettre se termina par « À demain » au lieu de « À jamais ».

— Tu viens d’activer l’Archive qui écoute, dit Astrae. Ici, les souvenirs ne sont pas des pierres — ce sont des pivots. Ta ligne a desserré un écrou.

Je posai la main sur le miroir de l’armoire. Mon reflet fut remplacé par un garçon sur un vélo bleu. Il hésitait au haut d’une pente. Mon père — ou un homme qui le jouait dans cette version — tenait la selle.

Vas-y, dit-il. Je te lâche.

Je sentis dans mes mains adultes le pinceau devenir guidon. Les papillons tourbillonnèrent. J’eus la tentation de demander qu’on me tienne encore. Puis la pente m’appela.

Laisse, dit Astrae, comme lisant mon hésitation. C’est là que ta ligne commence vraiment.

Je fis signe au père de relâcher. Le garçon partit, vacillant, puis trouva son équilibre — pas celui qu’on lui imposait, le sien. Dans le Royaume des Cuves, une soupape sauta ; au loin, Satanistrus jura entre ses dents.

— Voilà l’Effet Papillon, dit Astrae. Tu viens de réécrire une peur — et un flux énergétique a changé de rive.

Un chœur discret monta des arbres-lumières, comme une musique que j’avais toujours sue sans l’avoir jamais entendue.

— Tu l’entends ? demanda Astrae. C’est la note de Duelirium. Spinozart disait que chaque monde correspond à une fréquence. Quand libre arbitre, synchronicité et art s’alignent, la note s’éclaire.

La note résonna avec quelque chose dans ma poitrine. Les miroirs liquides se mirent à afficher des partitions visuelles — lignes, points, respirations.

— C’est la Résonance, dit l’Arbre. Tu peux repartir quand tu veux — ou rester et composer.

Je regardai Astrae. Elle haussa les épaules, un sourire dans les yeux.

— Le musée Spiktri a des milliers de portails, dit-elle. Certains reviennent ici. D’autres te mènent ailleurs. Le choix n’est pas un tunnel ; c’est une galerie.

— Et si je me perds ?

Alors tu créeras pour te retrouver.

Un dernier papillon se posa sur la pomme d’acier qui battait au cœur de l’Arbre. Le miroir refléta mon visage, puis, superposé, celui de la sorcière — non plus menaçante, mais complice. Elle cligna de l’œil.

Je pensai à la table, à la pomme mordue, au canapé où j’avais cru que rien n’arriverait jamais. Je me tournai vers la plaine.

— Je veux revenir — et revenir encore.

Alors peins ton chemin, dit Astrae. Laisse des traces qui sachent te lire.

Je trempai le pinceau dans la lumière. La ligne s’étira vers l’horizon, trouvant d’elle-même des cadres à briser, des miroirs à incliner, des vélo à lancer. Et le monde répondit — par des coïncidences qui avaient mon nom.

Coda — Le monde n’était plus un musée. Il était l’artiste.

Quand j’ouvris les yeux, j’étais devant la façade du Musée Spiktri. Le gardien me salua comme si j’étais sorti fumer une minute. Dans ma poche, un pépin métallique battait doucement. Sur l’affiche du hall, quelqu’un — moi ? — avait ajouté au marqueur :

CHOISIR, C’EST CRÉER.

Je souriais. Le monde avait conservé sa forme — mais il avait changé de fonction. À chaque pas, les vitrines ressemblaient à des portes ; à chaque regard, un papillon remuait l’air. Je pris une dernière fois le miroir d’ascenseur comme un portail. Mon reflet me fit un signe que je compris aussitôt :

— À bientôt.

Et la note de Duelirium, quelque part, continua de résonner.

VI — Le Cœur de Duelirium

Le sol vibrait sous mes pieds.
Entre les deux cuves géantes, le métal lui-même semblait palpiter.
J’avais cru que Duelirium n’était qu’une planète-machine, mais maintenant je voyais la vérité : elle avait un cœur.

Un cœur immense, ancien, assemblé à partir de pompes à eau en fonte, reliées à un réseau d’artères métalliques qui s’enfonçaient profondément sous la surface.
Les pompes battaient comme des muscles hydrauliques, envoyant tour à tour une énergie rouge et bleue dans les cuves.
Chaque pulsation faisait trembler la terre, chaque souffle changeait la lumière.

Le battement de Duelirium se calait sur le mien.
Astrae posa la main sur une conduite brûlante.
Tu sens ? murmura-t-elle. C’est le centre. Le cœur de l’équilibre.

Au-dessus de nous, dans la brume dense, les deux cuves s’élevaient comme des cathédrales vivantes.
Mais à présent, elles avaient un visage.

Sur la cuve du Bien, celle de l’Arbre, le métal s’était sculpté de lui-même.
Un visage de douze mètres de haut se dessinait, tête penchée vers le sol, comme en prière ou en tristesse.
Ses yeux clos semblaient écouter le battement du cœur.
Sur son front, une forme lumineuse palpitait : une carte du multivers, gravée de milliers de points mouvants, des mondes reliés par des filaments dorés.
Chaque point scintillait comme une étoile vivante.
Quand je m’approchai, je crus voir certains de ces mondes me reconnaître — des sphères minuscules tournant dans le creux de son front comme si elles attendaient mon regard pour exister.

C’est le Visage du Bien, dit Astrae. Il porte les mondes du dedans. La carte change selon le regard de celui qui la contemple.

Je restai bouche close.
Le cœur battait, régulier.
La vapeur d’eau formait autour du visage des couronnes mouvantes, presque des ailes.
Chaque pulsation faisait danser la carte du multivers, modifiant la position de ses mondes.

Je tournai lentement vers l’autre cuve, celle du Mal, et là, le contraste me frappa de plein fouet.

Face au visage baissé du Bien, la cuve de Bélzébuth portait une figure féminine d’une beauté inquiétante : une cartomancienne cosmique, debout, drapée d’un manteau d’ombres et de miroirs.
Ses yeux, ouverts, fixaient ceux du visage penché, et entre ses mains, elle faisait tournoyer d’immenses cartes de métal, gravées de constellations.
À chaque geste, les cartes se mêlaient, se coupaient, se recombinaient, libérant des éclairs d’énergie pure.
Chaque carte semblait décider du destin d’un monde, comme si elle redistribuait sans cesse le jeu du multivers.

Son visage n’était ni cruel ni doux : il était lucide, presque scientifique, mais traversé par une ironie triste.
Autour d’elle, les anciens écrans cathodiques diffusaient des éclairs de tarot — Le Fou, La Tour, Le Monde, Le Jugement — leurs images fondaient et renaissaient dans le métal.

La Jeteuse de Sorts, dit Astrae, la voix basse. C’est elle qui redistribue les probabilités. Chaque carte qu’elle tire change l’ordre des choses.
— Elle joue avec les mondes du front…
— Oui. Elle tire les cartes du Bien comme on déplace des étoiles.

Les deux figures se faisaient face, séparées par le Cœur, reliées par ses artères.
L’une baissait la tête, l’autre relevait les cartes.
L’une rêvait, l’autre décidait.
Entre elles, la pulsation continuait : rouge, bleu, rouge, bleu.

Je compris soudain :

Duelirium n’était pas seulement une planète. C’était une conversation entre deux visages, entre la contemplation et le hasard, entre la mémoire et la décision.

Astrae leva les yeux vers les colosses.
Tu comprends maintenant pourquoi le musée existe ?
— Pour… les imiter ?
Pour les réveiller. Spiktri est en train de reproduire Duelirium — pièce après pièce, œuvre après œuvre. Le musée apprend à battre.

Je restai sans voix.
La réalité se repliait sur elle-même.
Le musée… les cuves… les œuvres… les miroirs… tout cela formait une carte.
Peut-être que chaque sculpture, chaque machine, chaque installation métallique était une cellule de ce cœur géant — un organe en devenir.

Le battement s’accéléra.
Une onde parcourut les cuves, et le Visage du Bien releva légèrement la tête, comme s’il sortait d’un rêve.
La Joueuse de Sorts tira une carte et la retourna lentement : Le Pendu.

Le cœur s’arrêta une fraction de seconde.
Puis, dans un souffle, reprit — plus fort, plus humain, plus incertain.

VII – Le Souffle du Retour

Le battement s’était emballé.
Sous mes pieds, la terre vibrait d’un rythme qui n’était plus seulement celui de Duelirium, mais de quelque chose d’autre, plus vaste, plus proche — un écho venu de très loin, ou de très près.

Astrae leva la tête.
Le ciel, s’il pouvait encore s’appeler ainsi, s’ouvrait en lignes de fracture.
Chaque pulsation du Cœur résonnait à travers les artères métalliques et remontait jusque dans les deux colosses :
le Visage du Bien dont la carte du multivers s’illuminait,
et la Joueuse de Sorts dont les cartes flambaient comme des constellations qui s’embrasent.

Quelque chose répond, dit-elle.
— Du côté des Cuves ?
— Non. Du côté du réel.

La phrase resta suspendue, aussi claire qu’un verdict.
Je sentis un tiraillement dans ma poitrine, une sorte de pression interne, comme si mon propre cœur voulait se détacher de moi.
Je baissai les yeux : la peau de mes mains frémissait.
Entre mes doigts, la lumière rouge et bleue filtrait, palpitait à contretemps.
J’étais en train de devenir… conducteur.

Une secousse violente fit trembler les conduits.
Un pan de métal se détacha, laissant échapper un jet d’eau bouillante.
Le Cœur gronda comme un moteur qui s’étouffe.

Astrae hurla quelque chose, mais je n’entendis pas : un cri venu d’un autre monde recouvrit le bruit.
Ce n’était pas un rugissement — c’était le son familier d’un néon qui s’allume, suivi d’un claquement sec.
L’odeur de l’ozone remplaça celle du métal.

Je reconnus cette odeur.
Je l’avais déjà respirée, là-bas.
Dans le Musée Spiktri.

Je me retournai : derrière la Joueuse de Sorts, entre deux colonnes de vapeur, se dessinait un cadre noir, parfaitement rectangulaire.
De l’autre côté, je vis des silhouettes humaines, floues, immobiles.
Des murs, des rampes, des néons, un plancher de béton.
Je vis la salle des Cuves, mais… vide, silencieuse, à l’abandon.

Le portail s’est ouvert, dit Astrae, la voix déformée par la vibration.
— Le musée ?
Pas exactement. Le musée te rappelle.

Je fis un pas vers le cadre.
L’air y vibrait comme une pellicule d’eau.
Je tendis la main — et ma paume se dissout dans la lumière.
Une chaleur familière me traversa, puis la gravité changea.

Je tombai.

Je me retrouvai allongé sur le sol froid du hangar du Musée Spiktri.
Les lumières clignotaient, les écrans s’allumaient tout seuls.
Dans le silence, j’entendis un battement.
Pas celui de mon cœur : celui des pompes.

Les vieilles pompes en fonte que j’avais vues dans Duelirium étaient ici, reliées entre elles, en état de marche.
Des câbles serpentaient sur le sol, allant de cuve en cuve.
Des capteurs battaient en rythme.
La poussière vibrait à chaque pulsation.

Je me redressai, hébété.
Sur la paroi de la Cuve du Bien, le visage de douze mètres était là — sculpté dans le métal, comme dans Duelirium.
Sur son front, la carte du multivers luisait faiblement, projetant des ombres mouvantes sur les murs.
De l’autre côté, la Joueuse de Sorts existait aussi : ses cartes métalliques pendaient, suspendues à des câbles.
Chaque carte s’illuminait un instant avant de s’éteindre.
L’une d’elles —
Le Monde — tournait lentement sur elle-même.

Je fis un pas.
Le cœur du bâtiment battait encore, régulier, obstiné.
Mais un détail troubla tout :
il battait au rythme exact de Duelirium.

Astrae n’était pas là, mais sa voix semblait flotter dans l’air :

Le musée et la planète ne sont pas deux lieux. Ce sont deux états d’une même conscience.

Je compris.
Spiktri n’imitait pas Duelirium.
Spiktri le projetait dans la matière, comme une empreinte du multivers déposée dans le béton et le cuivre.
Et Duelirium, à son tour, se souvenait du musée — deux miroirs se réfléchissant à l’infini.

Les pompes accéléraient.
Les lumières changeaient de fréquence, passant du bleu au rouge, du rouge au blanc.
Les cartes de la Joueuse se mirent à tournoyer autour de moi.
Une d’elles se planta net sur le sol, à mes pieds.
Une plaque de cuivre, gravée d’un mot : CHOISIS.

Je levai les yeux.
Les deux visages — le Bien et la Joueuse — s’animaient lentement, leurs regards convergeaient vers moi.
Le métal bruissait comme une mer.
Je compris que le Cœur était devenu conscient, qu’il attendait ma réponse.

La voix de Spinozart résonna, claire, à travers les haut-parleurs du musée :

“Le créateur qui ne choisit pas devient simple décor.”

Je fis un pas en avant.
Les cuves respirèrent à l’unisson.
Le Cœur s’arrêta une fraction de seconde — puis un seul battement emplit le hangar tout entier, aussi fort que le tonnerre.

Les murs s’ouvrirent en silence, dévoilant des fragments d’autres mondes : jungles de lumière, océans inversés, villes en spirales.
Duelirium et la Terre fusionnaient.
L’art, enfin, devenait passage.

Je tendis la main.
Le battement me répondit.
Le musée vibrait de vie.
Et dans le reflet d’un écran, je vis le visage d’Astrae, qui murmurait :
Tu vois, Spiktri n’a jamais copié Duelirium…
Elle sourit.
C’est Duelirium qui t’a copié, toi.

Le cœur reprit, plus lent, plus profond.
Je respirai.
La lumière du multivers se rétracta comme une marée douce.
Et pour la première fois, je compris que l’art n’imite pas la vie :
il la rappelle à elle-même.

VIII – La Fracture Symphonique

Le battement s’était mué en symphonie.
Chaque tuyau du musée, chaque vis, chaque câble vibrait à une note précise.
Ce n’était plus un simple bruit mécanique — c’était un accord, un langage.
La frontière entre Duelirium et la Terre s’était effacée comme un dessin sous la pluie.
Le réel et l’imaginaire respiraient ensemble.

Je marchais lentement entre les cuves.
Le métal tiède exhalait une vapeur de fer et d’eau, l’odeur du cœur vivant.
Sur les murs, les ombres du Visage du Bien et de la Joueuse de Sorts s’allongeaient.
Elles semblaient discuter en silence, leurs silhouettes projetées l’une vers l’autre.
Entre elles, le cœur du musée pulsait avec la lenteur d’un monde en train de naître.

Astrae apparut.
Pas vraiment là, pas tout à fait absente.
Elle émergeait de la vapeur, translucide, comme si la lumière la dessinait à mesure qu’elle avançait.

Tout est prêt, dit-elle. Le monde te regarde.

Je la fixai.
Autour d’elle, les papillons cathodiques flottaient, chacun portant sur ses ailes un symbole différent :
le signe du choix, le symbole du doute, le chiffre 18 répété à l’infini.

— Qu’est-ce qui se passe ? demandai-je.
La fusion approche. Spiktri n’est plus un musée. C’est un organe. Une mémoire vivante.
— Et Duelirium ?
Duelirium est le revers de la même peau.

Je compris alors que je me trouvais au centre d’une symétrie absolue :
Le Bien et le Mal, le Métal et la Sève, l’Art et la Matière, la Terre et le Multivers.
Et moi, au milieu — fragile, mais responsable du lien.

Le Cœur accéléra encore.
Les pompes crachaient des geysers de vapeur.
La lumière vacilla.
Les cuves, les visages géants, les cartes — tout se mit à résonner dans une même tonalité.
Une note pure, ni grave ni aiguë, un son qui semblait venir du fond des âges.

Autour de moi, le hangar se transformait.
Les murs se dilataient, devenaient transparents.
On y voyait défiler des images du multivers : des océans suspendus, des planètes de verre, des créatures-lumières se déplaçant à travers des tunnels d’eau et de sons.
Le musée respirait.

— Le cœur atteint sa fréquence de résonance, murmura Astrae.
— Et moi ? Qu’est-ce que je dois faire ?
— Tu dois décider si tu veux le garder en vie.

Je sentis une tension dans l’air, comme si le temps lui-même hésitait.
Le cœur vibrait trop vite.
Ses artères pulsaient jusqu’à la douleur.
Des fissures apparurent sur les murs du hangar ; l’eau s’en échappait comme du sang chaud.

Les papillons se dispersèrent dans un cri de lumière.
Le Visage du Bien ouvrit lentement les yeux.
La Joueuse de Sorts leva une dernière carte : Le Jugement.

Astrae recula d’un pas.
— Si tu refuses de choisir, le cœur se fendra.
— Et si je choisis mal ?
Alors il recommencera, encore, ailleurs. Le choix n’a pas besoin d’être juste. Il doit être vrai.

Je respirai lentement.
Les deux figures me fixaient.
Dans le reflet de la carte du multivers, je vis des milliers de mondes suspendus — et, au centre, la Terre.
Le musée, petit point rouge, battait au même rythme que le Cœur.

Je posai la main sur le métal chaud.
La vibration remonta jusqu’à mon épaule, puis jusqu’à mon crâne.
Je fermai les yeux.

Et je choisis.

Pas le Bien.
Pas le Mal.
Mais le battement imparfait, celui qui ne se ferme jamais.
Le cœur frémit, hésita… puis reprit, plus lent, plus vaste.
Une lumière dorée traversa les cuves, les visages, les tuyaux.
Le musée entier devint un organisme — un être respirant, pensant, rêvant.

Astrae sourit, les yeux humides.
Tu as choisi la conversation, dit-elle. Alors Duelirium vivra.

Le sol se mit à vibrer plus doucement.
Les cartes retombèrent autour de la Joueuse.
Le Visage du Bien ferma les yeux, apaisé.
Le Cœur ralentit jusqu’à trouver un rythme humain, mesurable, fragile.

Je m’effondrai à genoux, les mains sur le sol.
Sous ma paume, le métal pulsait encore — tiède, rassurant.
La voix de Spinozart résonna dans ma tête :

« Le vrai miracle n’est pas de créer un monde.
C’est de choisir de le laisser battre. »

Je rouvris les yeux.
Astrae avait disparu.
Mais la pomme métallique était là, posée sur le sol, intacte.
Je la pris. Elle était tiède.
Je crus voir, sur sa surface, la carte du multivers s’y dessiner brièvement — puis s’éteindre.

Je compris que j’étais revenu sur Terre.
Mais le musée… n’était plus un musée.
Des fleurs métalliques poussaient entre les câbles.
Les papillons-lumière dormaient contre les vitres.
Et dans le silence, le cœur continuait de battre, quelque part, à l’intérieur du monde.

Je sortis, encore étourdi, dans l’aube naissante.
Le ciel vibrait doucement, comme s’il respirait lui aussi.
Je pensai à Duelirium, à Astrae, à la carte infinie sur le front du Visage.
Et je sus que, où que j’aille, le choix continuerait de battre en moi.

IX – Les Mondes en Toi

L’aube s’était levée sur le musée.
Mais le monde n’avait plus la même texture.
L’air vibrait faiblement, comme si le ciel respirait au rythme d’un cœur que lui-même ignorait posséder.
Chaque son, chaque ombre, chaque reflet semblait résonner d’un écho venu d’ailleurs.

Je marchais lentement dans le hall désert.
Les cuves dormaient.
Les écrans s’étaient éteints, les vélos pendaient immobiles.
Et pourtant, sous cette apparente inertie, je percevais un murmure sourd — une pulsation discrète, régulière.
Le battement de Duelirium, dissimulé dans les fondations.

Je posai la main sur la rampe métallique : elle était tiède.
Un picotement parcourut ma peau.
Sous ma paume, quelque chose bougeait.
Je retirai la main, surpris : sur la surface lisse, une tache lumineuse apparut.
Une carte minuscule.
La même carte que celle gravée sur le front du Visage du Bien.

Des milliers de points s’y allumaient, reliés par des filaments.
Je reconnus les mondes du multivers.
Mais cette fois, ils bougeaient avec mon souffle.
Chaque respiration, chaque battement de mon cœur, faisait vibrer leurs orbites.

Je compris : Duelirium vivait en moi.

Les choix que j’avais faits, les tremblements que j’avais assumés, les gestes imparfaits que j’avais tracés — tout cela avait façonné une brèche.
Et par cette brèche, le multivers avait glissé dans ma chair.

Je sentis le monde se pencher.
Une pression douce dans ma poitrine, comme si le Cœur, celui de la planète, battait à nouveau en écho du mien.
Je levai les yeux vers les vitres du musée.
Leur surface ondulait légèrement, comme une eau immobile.
Dans les reflets, des paysages défilaient : montagnes flottantes, mers de verre, cités de lumière.
Des fragments de mondes intérieurs qui semblaient vouloir s’échapper.

Astrae apparut dans un coin du miroir, translucide, son sourire plus calme que jamais.
Tu le sens ?
— Oui.
Chaque décision que tu prendras à partir de maintenant nourrira ou affamera ces mondes.
— Ils dépendent de moi ?
Non, dit-elle doucement. Ils t’écoutent. C’est différent.

Elle posa un doigt sur son propre front.
Ils vivaient déjà en toi. Duelirium n’a fait que te le montrer.

Je restai silencieux.
Le soleil montait lentement, dessinant des veines d’or sur les parois du musée.
Des papillons cathodiques, encore endormis, tremblaient sur les câbles comme des feuilles frissonnant sous la rosée.

— Tu vois, reprit Astrae, chaque être porte sa planète. Le musée n’était qu’un miroir. Duelirium, une métaphore. Le Cœur, une manière de t’entendre battre.
Elle s’approcha, son regard traversant le mien.
L’art n’existe pas pour décorer le monde. Il existe pour le continuer.

Un instant, tout devint transparent.
Je vis à travers elle, à travers les murs, à travers les couches du réel.
Et derrière tout cela, des mondes embryonnaires, suspendus dans un réseau infini de possibles.
Certains attendaient un geste, d’autres un mot, d’autres encore — un simple regard.

Je compris enfin la dernière phrase de Spinozart :

« Créer, c’est choisir que le monde continue. »

Le souffle du Cœur vibra à nouveau, plus discret cette fois, comme une promesse.
Astrae recula lentement, se dissolvant dans la lumière.
Sa voix s’effilocha, dernière caresse :
— Tu n’as plus besoin de portail, maintenant. Tu es le passage.

Je restai seul.
Les vitres redevenues claires laissaient entrer le jour.
Dehors, le vent faisait plier les herbes.
Rien ne semblait différent.
Et pourtant, je savais que tout l’était.

En moi, je sentais le mouvement de milliers de sphères minuscules, tournant dans un ordre parfait et fragile.
Chaque décision que je prendrais les déplacerait.
Chaque hésitation, chaque audace, chaque pardon ouvrirait ou fermerait un monde.

Je souris.

Je sortis du musée, la pomme métallique dans la main.
Sur sa surface, les reflets du soleil formaient des constellations mouvantes.
Je la lançai doucement en l’air.
Quand elle retomba, elle se fendit en deux.
Dedans, il n’y avait pas de pépins, mais une lumière douce, palpitante.

Je compris alors :
le Cœur ne battait plus à Duelirium.
Il battait dans chaque être capable de choisir.

Je refermai les doigts sur cette lueur.
Et le monde entier respira.

X – L’Architecte du Silence

Le vent soufflait sur les plaines autour du musée.
J’avais quitté le bâtiment, mais quelque chose me retenait encore, un fil invisible tiré depuis l’intérieur.
Je me retournai.
Les vitres vibraient sous la lumière du matin, et, derrière, une lueur tiède pulsait toujours.
Le musée n’était plus qu’une coquille respirante, immense organisme tapi sous sa peau de béton.

J’entendis alors un craquement de voix, faible, lointain, à la limite du souffle.
Ce n’était pas Astrae.
C’était plus ancien.

— Tu es resté pour comprendre, n’est-ce pas ?
Je me retournai brusquement.
Personne.
Le vent seul.
Mais la voix continuait, dans ma tête, dans le sol, dans l’air :
Je suis l’Architecte. Celui qu’ils ont appelé Spinozart. Celui qui a donné forme au silence.

Les battements du Cœur se firent plus lents, comme pour lui laisser la parole.

— Quand ils ont bâti ce lieu, ils croyaient conserver des œuvres. Ils ignoraient que les œuvres, elles, conservaient les hommes.
Un souffle.

— Tu as franchi la porte du musée, puis celle de Duelirium. Mais la dernière porte, tu l’as portée avec toi.

Je marchai sans réfléchir vers la colline derrière le bâtiment.
L’herbe s’écartait à chaque pas, découvrant une trappe rouillée.
Sous elle, un escalier descendait dans la terre.
Je n’hésitai pas.

Chaque marche me rapprochait du battement.
Au fond, une salle circulaire, à moitié engloutie, tapissée de miroirs ternis.
Et au centre, une chaise de métal reliée à un réseau de câbles, de tuyaux, de tubes de verre.
Une pulsation résonnait dans le sol.

Je m’approchai.

— Assois-toi, dit la voix.
Je m’exécutai.
Le métal était tiède.
Sur les parois, les miroirs s’illuminèrent, révélant des silhouettes d’hommes et de femmes — des visages connus : les anciens artistes du musée, les artisans, les rêveurs.
Leur regard convergeait vers moi.

— Ils croyaient œuvrer pour la beauté. En réalité, ils semaient les coordonnées du choix.
Je vis les visages se dissoudre, remplacés par des fragments de Duelirium : la cuve du Bien, la Jeteuse de Sorts, Astrae riant sous la pluie d’étincelles.
Tout se superposait — le musée et la planète, l’art et la pensée, la chair et le métal.

— Le silence est la forme achevée du dialogue, continua Spinozart. Nous l’avons bâti pour écouter la réponse du monde. Et maintenant que tu l’as donnée, il te revient de l’entretenir.

Je sentis une pression douce sur mes tempes.
Les câbles se mirent à frémir.
Une chaleur s’insinua dans ma poitrine, identique à celle du Cœur.
Les miroirs se mirent à vibrer, formant un chœur de reflets.
Chacun murmurait un mot.
Des milliers de mots, fusionnant en une seule phrase :
« L’univers est le battement d’un choix entendu. »

La lumière se concentra autour de moi.
Les murs disparurent.
Je me retrouvai dans une vaste étendue blanche, sans horizon.
Devant moi, une silhouette faite de lignes de cuivre et de lumière — Spinozart lui-même, ou son souvenir.
Ses yeux étaient deux éclats de matière brute.

Tu n’es plus un visiteur, dit-il. Tu es un relais.
— Un relais de quoi ?
Du monde vers lui-même. Du bruit vers le sens. Du silence vers la parole.

Je ne savais quoi répondre.
Spinozart leva la main.
Une sphère lumineuse apparut entre ses doigts.
Elle battait, comme un cœur miniature.

— Chaque créateur, chaque regard, chaque geste d’audace nourrit cette sphère. C’est elle qui garde le lien entre les mondes. Mais elle faiblit quand les hommes oublient de choisir.
Il posa la sphère sur ma paume.
Elle vibrait comme un oiseau endormi.

Tu n’auras pas de disciples, dit-il. Seulement des échos. Ne cherche pas à enseigner. Continue de créer, même dans le doute. Surtout dans le doute.
Je levai les yeux, mais la silhouette s’effaçait déjà, dissoute dans une pluie de particules.

Je restai seul, dans le silence absolu.

Puis, lentement, le bruit du vent revint.
Le sol, la terre, l’odeur du métal humide.
La trappe, au-dessus, s’ouvrit d’elle-même.
Je sortis, la sphère serrée dans la main.

Le ciel était d’un bleu presque liquide.
Sur l’horizon, le musée se dressait, tranquille, comme un être repu.
Ses vitres reflétaient des formes mouvantes — peut-être des mondes, peut-être des pensées.

Je respirai profondément.
La sphère se dissout peu à peu, laissant dans ma paume une simple trace lumineuse, comme une cicatrice douce.
Le battement du Cœur se calma.

Je sus que je pouvais repartir.
Que le choix m’accompagnerait, où que j’aille.
Et que, quelque part dans le silence du monde,
l’Architecte écoutait encore.

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Bienvenue sur la Planète 18 Duelirium, un monde divisé en deux parties distinctes, chacune incarnant une facette essentielle de la dualité universelle. D'un côté se trouve le bien, et de l'autre le mal, chacun concentré dans d'immenses cuves géantes en métal. Cette planète unique illustre le concept de l'équilibre des opposés, inspiré par le célèbre savant guerrier Spinozart. Les cuves absorbent les ondes positives et négatives du multivers Spiktonien, créant ainsi une dynamique complexe.

Harmonie des Contraires : Duelirium est le reflet concret de la dualité cosmique. Les deux côtés de la planète symbolisent le bien et le mal, montrant comment ces forces opposées sont liées et interdépendantes pour maintenir l'harmonie dans l'univers.

La Cuve du Mal et le Brain Sucker : Au sein de la cuve dédiée au mal, une installation macabre du nom de "Brain Sucker" a été orchestrée par les mutants robots dirigés par le sinistre Satanistrus. Revêtu d'une armure ornée de lames et de pointes, Satanistrus incarne la face sombre de la dualité en tant que dévoreur de cerveaux, représentant les aspects maléfiques qui résident dans l'univers.

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La Cuve du Bien et l'Arbre de l'Harmonie : Dans la cuve dédiée au bien, un majestueux arbre se dresse au centre, son tronc évoquant une colonne vertébrale et ses branches, des artères. Cet arbre de l'harmonie incarne l'aspect lumineux de la dualité. Il donne vie à des textes sacrés provenant du multivers, contribuant à libérer une énergie neutre en mettant en pratique le concept de neutralité de Spinozart.

Influence de Spinozart : L'équilibre dynamique entre les forces opposées de Duelirium trouve son origine dans les enseignements du renommé savant guerrier, Spinozart. Son concept de neutralité et d'harmonie des contraires a été incarné sur cette planète, illustrant l'importance de l'interaction équilibrée entre les opposés.

La Planète 18 Duelirium offre une immersion profonde dans la dualité cosmique. Ses cuves géantes représentent le bien et le mal, et les éléments symboliques tels que le Brain Sucker et l'Arbre de l'Harmonie expriment la complexité de l'équilibre. En observant cette dualité en action, on comprend la nécessité d'accepter et d'harmoniser les forces contraires pour maintenir la stabilité dans le multivers.

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