TEOGORIUM
LE MONDE AUX REFLETS PERDUS
« Vous m’écoutez ? Bien. Parce que si vous mettez un pied ici, vous devez savoir dans quoi vous vous embarquez. »
La voix émerge du silence, douce, vibrante, presque hypnotique. Une silhouette se dessine devant vous, drapée d’un manteau irisé qui reflète la lumière spectrale de ce monde inconnu. Ses yeux, d’un bleu profond, semblent traverser le temps et l’espace.
« Je m’appelle Vaelis. Et si vous êtes ici, c’est que vous cherchez quelque chose… ou que quelque chose vous cherche. »
La silhouette incline légèrement la tête, scrutant votre visage avec une étrange familiarité.
« J’ai l’habitude d’intercepter des étrangers », poursuit-elle d’un ton énigmatique. « Tu ressembles à un humain, planète Terre, pour l’instant… »
Elle s’interrompt, une lueur fugace traversant son regard. Une onde presque imperceptible semble parcourir son être.
« Je le sais… Mon apparence va changer. Une modification de mon vortex cérébral… Je le sens déjà arriver. »

« Regarde ton visage dans la nacre géante. »
Lentement, votre regard se pose sur la surface lisse et irisée d’une immense conque luminescente. Son éclat trouble la perception du réel, distordant l’image qui s’y reflète.
Et c’est là que vous le voyez.
Votre peau change. Une myriade de coquillages nacrés se forment lentement, fusionnant à votre corps comme une seconde carapace vivante. Des perles translucides apparaissent, pulsant d’une lumière intérieure, comme si elles contenaient l’écho d’une énergie inconnue.
Une chaleur étrange vous envahit. Votre esprit s’ouvre.
Votre vision se trouble un instant avant de s’éclairer d’une clarté fulgurante. Chaque détail, chaque vibration de ce monde vous parvient avec une précision nouvelle. Vous clignez des yeux et, dans le reflet, deux iris d’un bleu électrique vous transpercent.
Vaelis hoche la tête, observant votre métamorphose avec une pointe de fascination.
« Ah oui… Tu changes déjà. »
L’air autour de vous ondule, chargé d’une force insaisissable. Qui êtes-vous en train de devenir ?

Derrière lui, un paysage irréel se dévoile. Des cités sculptées dans des coquilles géantes s’élèvent comme des cathédrales marines, leurs parois de nacre renvoyant des éclats dorés sous la lumière vacillante de lunes multiples. Des rivières d’opale serpentent entre des forêts d’algues luminescentes, et partout, des êtres à la peau incrustée de perles et de coraux vivants marchent en silence, comme s’ils écoutaient un chant que vous ne pouvez pas encore entendre.
Vaelis se tourne vers vous, un sourire en coin.

« Vous pensez que Teogorium est un simple monde à explorer ? Une carte blanche sur laquelle tracer votre propre histoire ? Faux. Ici, tout est écrit avant même que vous ne mettiez un pied sur ces rivages. Vous marchez sur une mémoire vivante, et chaque pas que vous ferez vous rapprochera d’un secret que certains préféreraient voir disparaître. »
Il avance lentement, son manteau frôlant le sol de corail vibrant sous ses pieds.

« Je cherche un guide. Quelqu’un qui n’a pas peur des ombres qui dorment sous les mers abyssales. Quelqu’un qui peut voir au-delà du reflet scintillant de la nacre, au-delà des illusions de ce monde parfait. L’Œil de Nautilus nous attend. Et croyez-moi, il ne se laissera pas prendre facilement. »
Il tend une main vers vous.
« Alors ? Vous venez ? »

Je fixe cette main tendue, hésitant une fraction de seconde. Le regard de Vaelis ne vacille pas. Un frisson glisse le long de ma colonne vertébrale. Je ne sais pas si c’est l’excitation ou la crainte. Peut-être les deux.
J’attrape sa main.
La chaleur qui s’en dégage est étrange, presque électrique. Un instant plus tard, le sol sous mes pieds semble disparaître. Tout bascule.
Un tourbillon de lumière et d’ombres m’enveloppe. Une sensation d’étouffement. De l’eau ? Non… de l’air… dense, liquide. Puis un choc brutal.

Je me redresse, haletant.
Nous ne sommes plus sur la plateforme où Vaelis m’a trouvé.
Devant moi s’étale un paysage à couper le souffle. Une immense caverne souterraine, baignée d’une lumière irréelle qui filtre à travers des fissures cristallines. Des stalactites de nacre dégoulinent du plafond comme des larmes figées, et en contrebas, un océan souterrain miroite sous la lumière dorée.
Vaelis me tend un sourire amusé.

— Bienvenue dans les entrailles de Teogorium.
Il s’accroupit au bord de l’eau, effleurant la surface du bout des doigts. Instantanément, des vagues irisées s’étendent en cercles parfaits, projetant des reflets mouvants sur les parois de la caverne.
— Ce n’est pas qu’une mer. C’est une mémoire. Il relève les yeux vers moi. Les Teogorii l’appellent l’Archivarium. Tout ce qui a été oublié, tout ce que ce monde veut dissimuler, repose ici.
Mon cœur se serre.
— L’Œil de Nautilus… il est ici ?
Vaelis ne répond pas immédiatement. Il laisse le silence s’installer, écoutant quelque chose que je ne perçois pas encore. Puis, d’un ton plus bas, presque un murmure :

— Non… mais c’est ici que nous trouverons la clé.
Il plonge une main dans sa poche et en sort un petit artefact en forme de conque, incrusté de motifs tourbillonnants.
— Si vous tenez toujours à me suivre… alors il est temps de réveiller les souvenirs engloutis.
D’un geste précis, il presse son pouce contre le centre de la conque.
Un battement sourd résonne dans la caverne.
L’eau se met à frémir.
Puis, lentement, quelque chose émerge des profondeurs.
Quelque chose d’ancien.
Quelque chose qui nous attendait.

TEOGORIUM : LES SOUVENIRS ENGLOUTIS
L’eau frémit encore, soulevée par une force invisible. Des ondulations irisées s’étendent en cercles concentriques, et je sens l’air se charger d’une tension indescriptible.
Vaelis ne bouge pas. Il fixe la surface miroitante du lac souterrain, son visage figé dans une concentration absolue.
Puis, lentement, ça émerge.
Une masse sombre d’abord indistincte, translucide et mouvante, se dresse hors de l’eau dans un silence irréel. Son corps semble composé d’un entrelacement de corail noirci, de nacre brisée et de coquillages fusionnés en une carapace d’apparence aussi fragile qu’indestructible.
Puis viennent les yeux.
Des centaines de perles irisées, incrustées dans la chair de cette chose, s’ouvrent simultanément. Elles nous fixent avec une intelligence ancienne, profonde, insondable.

— Qu’est-ce que… c’est ? je murmure, la voix tremblante.
Vaelis esquisse un sourire nerveux.
— Un Gardien.
La créature incline légèrement la tête, ses multiples prunelles semblant fouiller jusqu’au plus profond de mon être. Une voix s’élève, non pas dans l’air, mais dans mon esprit.
— Voyageur… tu portes l’empreinte du passé.
Mon souffle se coupe.
La voix est froide, vibrante, et résonne en moi comme un écho perdu dans l’immensité du temps.
Vaelis s’avance d’un pas, levant les mains en signe de paix.
— Nous cherchons l’Œil de Nautilus.
Silence.

Puis, la créature incline à nouveau la tête, et une pulsation de lumière traverse son corps.
— Vous cherchez ce qui ne veut pas être trouvé.
Mon cœur cogne violemment dans ma poitrine.
— Que veux-tu dire ?
La créature ne répond pas immédiatement. Elle semble hésiter, ou peut-être jauger nos intentions.
Puis, enfin :
— L’Œil est vivant. Il choisit son porteur. Et s’il vous appelle… alors vous êtes déjà liés à son destin.
Un grondement sourd fait trembler le sol sous nos pieds.
L’eau se met à vibrer.
Derrière le Gardien, quelque chose bouge dans l’obscurité.
Vaelis me jette un regard rapide, son expression plus grave que jamais.
— Nous devons partir. Maintenant.
Mais il est trop tard.
Des silhouettes émergent à leur tour des profondeurs, leurs formes encore indistinctes. Pas des Gardiens.
Autre chose.
Quelque chose qui ne veut pas que nous trouvions l’Œil.
Quelque chose qui veut nous enterrer ici, à jamais.